Page:Renard - Coquecigrues, 1893.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son couteau disparut sous les flots de crème coulante, gratta l’assiette, agaçant les dents, mais jamais elle ne parvint à fixer des limites, à tracer des sentiers secs, et toujours les parts débordaient l’une sur l’autre. Exaspérée, elle prit l’assiette, renversa dans celle de son mari la moitié du gâteau et dit :

— Tiens, bourre-toi.

M. Bornet emplit une cuiller à potage, souffla sur la crème tant elle lui parut froide, et n’en fit qu’une bouchée. Mais sa langue embarrassée refusa de clapper. Il grimaça, puis sourit :

— Je crois qu’elle a un petit goût, dit-il.

— Allons ! bon, dit Madame. Quel homme à caprices ! ma parole, je ne sais plus qu’inventer pour te nourrir. Seigneur, que je suis donc malheureuse !

— Essaie, toi, dit simplement M. Bornet.

— Je n’ai pas besoin d’essayer. Je suis sûre d’avance qu’elle n’a aucun goût.

— Essaie tout de même. Avales-en une cuillerée, rien qu’une.

— Deux, si tu veux, fit Mme Bornet.