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L’ALOUETTE

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I

Je n’ai jamais vu d’alouette et je me lève inutilement avec l’aurore. L’alouette n’est pas un oiseau de la terre.

Depuis ce matin, je foule les mottes et les herbes sèches.

Des bandes de moineaux gris ou de chardonnerets peints à vif flottent sur les haies d’épines.

Le geai passe la revue des arbres dans un costume officiel.

Une caille rase des luzernes et trace au cordeau la ligne droite de son vol.

Derrière le berger qui tricote mieux qu’une femme, les moutons se suivent et se ressemblent.

Et tout s’imprègne d’une lumière si neuve que le corbeau, qui ne présage rien de bon, fait sourire.

Mais écoutez comme j’écoute.

Entendez-vous quelque part, là-haut, piler dans une coupe d’or des morceaux de cristal ?

Qui peut me dire où l’alouette chante ?

Si je regarde en l’air, le soleil brûle mes yeux.

Il me faut renoncer à la voir.

L’alouette vit au ciel, et c’est le seul oiseau du ciel qui chante jusqu’à nous.

II

Elle retombe, ivre morte de s’être encore fourrée dans l’œil du soleil.


LE MARTIN-PÊCHEUR

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Ça n’a pas mordu, ce soir, mais je rapporte une rare émotion.

Comme je tenais ma perche de ligne tendue, un martin-pêcheur est venu s’y poser.

Nous n’avons pas d’oiseau plus éclatant.

Il semblait une grosse fleur bleue au bout d’une longue tige. La perche pliait sous le poids. Je ne respirais plus, tout fier d’être pris pour un arbre par un martin-pêcheur.



Et je suis sûr qu’il ne s’est pas envolé de peur, mais qu’il a cru qu’il ne faisait que passer d’une branche à une autre.