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FERMETURE DE LA CHASSE

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C’est une pauvre journée, grise et courte, comme rognée à ses deux bouts.

Vers midi, le soleil maussade essaie de percer la brume et entre’ouvre un œil pâle tout de suite refermé.

Je marche au hasard. Mon fusil m’est inutile, et le chien, si fou d’ordinaire, ne s’écarte pas.

L’eau de la rivière est d’une transparence qui fait mal : si on y plongeait les doigts, elle couperait comme une vitre cassée.

Dans l’éteule, à chacun de mes pas jaillit une alouette engourdie. Elles se réunissent, tourbillonnent et leur vol trouble à peine l’air gelé.

Là-bas, des congrégations de corbeaux déterrent du bec des semences d’automne.

Trois perdrix se dressent au milieu d’un pré dont l’herbe rase ne les abrite plus.

Comme les voilà grandies ! Ce sont de vraies dames maintenant. Elles écoutent, inquiètes. Je les ai bien vues, mais je les laisse tranquilles et m’éloigne. Et quelque part, sans doute, un lièvre qui tremblait se rassure et remet son nez au bord du gîte.

Tout le long de cette haie (ça et là une dernière feuille bat de l’aile comme un oiseau dont la patte est prise), un merle fuit à mon approche, va se cacher plus loin, puis ressort sous le nez du chien et, sans risque, se moque de nous.

Peu à peu, la brume s’épaissit. Je me croirais perdu. Mon fusil n’est plus, dans mes mains, qu’un bâton qui peut éclater. D’où partent ce bruit vague, ce bêlement, ce son de cloche, ce cri humain ?

Il faut rentrer. Par une route déjà effacée, je retourne au village. Lui seul connaît son nom. D’humbles paysans l’habitent, que personne ne vient jamais voir, excepté moi.