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L’ÂNE

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I


Tout lui est égal. Chaque matin, il voiture, d’un petit pas sec et dru de fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue aux villages les commissions faites en ville, les épices, le pain, la viande de boucherie, quelques journaux, une lettre.

Cette tournée finie, Jacquot et l’âne travaillent pour leur compte. La voiture sert de charrette. Ils vont ensemble à la vigne, au bois, aux pommes de terre. Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt des balais verts, ça ou autre chose, selon le jour.

Jacquot ne cesse de dire : « Hue ! hue ! » sans motif, comme il ronflerait. Parfois l’âne, à cause d’un chardon qu’il flaire, ou d’une idée qui le prend, ne marche plus. Jacquot lui met un bras autour du cou et pousse. Si l’âne résiste, Jacquot lui mord l’oreille.

Ils mangent dans les fossés, le maître une croûte et des oignons, la bête ce qu’elle veut.

Ils ne rentrent qu’à la nuit. Leurs ombres passent avec lenteur d’un arbre à l’autre.

Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se rompt, bouleversé.

Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard, des pleins seaux d’eau de son puits ?

C’est l’âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu’à extinction, qu’il s’en fiche, qu’il s’en fiche.



II


Le lapin devenu grand.

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