Page:Renard - L’Écornifleur, Ollendorff, 1892.djvu/40

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bout de ses doigts. Je les fais sauter dans le creux de ma main, de la façon qu’on soupèse des pièces d’or, pour voir si elles ont le poids.

Installé, je deviens poseur, menteur et gobeur. La nourriture « saine et abondante » descend en moi, fait tampon, refoule mon âme dans un coin, l’étouffe.

— « Quel excellent potage ! dis-je. Il n’y a que chez vous qu’on sache manger ! »

Je cite des noms connus de restaurants, comme si j’en sortais. Leurs prix sont un peu forts ; mais, à Paris, cela seulement est bon marché qui coûte cher.

À chaque nom, Monsieur Vernet me demande :

— « Vous y êtes allé ? »

— « Oui. Ils ont un nouveau chef qui réussit la sole ; mais tout autre poisson y est détestable. »

Je jouis de mentir et regarde l’étonnement de Monsieur Vernet monter comme une colonne de mercure. Tel degré à atteindre me fait ajouter un mensonge. À tel autre, il est bon que je m’arrête. Tout à l’heure, quittant la table, n’irai-je pas sucer une écrevisse chez Fary ?