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recélât. Pressé de revêtir son déguisement, l’un d’eux, sans doute, en avait dépouillé le médecin avant qu’on eût fouillé son cadavre. Et ainsi la peau de bique s’était trouvée hors de cause, en vertu du rôle qu’elle avait à jouer, de même qu’elle avait failli échapper à la perspicacité de la justice, en vertu du rôle qu’elle avait joué. Il y a là un trait de psychologie assez curieux et qui fournirait matière à philosopher.

Au demeurant, l’étourderie des criminels était, si l’on peut dire, excusable. Car on sait maintenant que l’objectif principal de leur vol était le contenu du coffre-fort et, accessoirement, du bureau. Les documents disséminés dans les autres meubles et peut-être sur la personne même de leur victime n’avaient, à leur sens, que peu d’intérêt, parce qu’ils les croyaient énigmatiques en leur isolement.

Comment auraient-ils supposé que la peau de bique, manteau d’usage occasionnel, contînt des révélations aussi importantes ? Il faut, pour l’expliquer, se livrer à des conjectures, et croire que le Dr Bare mettait la dernière main à ce compte rendu, lorsque la sonnerie du téléphone retentit dans le silence de son cabinet. On l’appelait d’urgence à Salamont. La vie d’un malade dépendait de sa hâte. Il ne crut pas devoir perdre plusieurs minutes à ouvrir son coffre-fort, et, ne voulant pas jeter le document dans le premier tiroir venu, il estima plus prudent de l’emporter avec lui, se réservant de le mettre en lieu sûr dès son retour.

C’est ce document que nous publions ci-après. Il forme un récit dont la fin violente du docteur n’est que l’épilogue sanglant.

Hélas ! ce qu’on va lire n’est qu’une relation fort imprécise des observations pratiquées par le médecin de Belvoux. Ce n’est qu’une histoire intime où il a raconté tout ce qui ne pouvait prendre place dans son mémoire technique, soustrait par les redoutables cambrioleurs, à la veille d’être transmis à l’Académie des sciences. Il est vrai que — selon le docteur — le mémoire technique était lui-même très incomplet. La perte n’en est pas moins déplorable, si l’on envisage toutes les lumières que son étude aurait projetées dans les profondeurs de l’inconnu et dont le manuscrit de la peau de bique ne donne qu’un faible aperçu.

Nous livrons au lecteur ces souvenirs sans apprêts, qui, mêlant à la précision d’un rapport la sincérité d’une confession, retracent les péripéties d’une aventure tragique et merveilleuse.



II. —

MORT AU CHAMP D’HONNEUR



Je crois en toute sincérité qu’il y a peu d’hommes aussi calmes, aussi peu impressionnables que moi. Je crois que l’amour seul a pu précipiter les battements de mon cœur. Et pourtant, toutes les fois que la vieille sonnette tinte dans le couloir, je ne puis retenir un léger sursaut. Mes nerfs ne se souviennent que de l’apparition et des circonstances qui l’ont accompagnée ; insensibles aux explications, ils ne sauraient perdre de si tôt cette sotte habitude. Et c’est la persistance d’un tel phénomène qui me donne la preuve rétrospective de ma frayeur ; car, sur le moment, je n’ai cru ressentir qu’une surprise sans inquiétude, une sorte d’embarras où luttaient le sentiment de l’impossible, le soupçon d’une mauvaise farce et, très faible, un doute sur la fidélité de mes sens. Il faut pourtant que la