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Page:Renard - L’Homme truqué, suivi du Château hanté… - Crès, 1921.djvu/36

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L’HOMME TRUQUÉ

a dévorés. Quelques heures de désœuvrement recueilli m’avaient rapproché de leur troupe sévère. J’étais environné de chers fantômes, et l’idée de Jean Lebris me hantait.

Je le revoyais, mince et pâle, un peu courbé. Je crois, en effet, qu’il « m’aimait bien », malgré les dix ans qui faisaient de moi son grand aîné. Sa santé délicate le mettait sous la dépendance de ma sollicitude. C’était un jeune homme intéressant, artiste, qui serait peintre sans doute. On ne lui reprochait que d’être insociable, casanier, et de pousser la timidité jusqu’à la phobie du monde. Son affection ne m’était que plus précieuse. — Il m’avait écrit souvent, aux armées. Et puis, un jour de juin 1918, une lettre de sa mère était venue m’annoncer le désastre : disparu, devant Dormans, pendant l’avance allemande… Et deux mois plus tard, venant par la Suisse, la suprême confirmation : mort à l’ambulance saxonne de Thiérache (Aisne)…

Je déposai mon stylographe inutile, et, sur mes livres ouverts, je me pris la tête dans les mains.