Émile. — Moi, je me rappelle tout, notre rencontre, ses suites, ta chute, mon accident, nos peurs (avons-nous eu peur, un jour ! et cet autre, avons-nous ri ?), mon départ et tes larmes ; quoi encore ? Je relis notre beau roman, comme si je l’avais devant moi, grand ouvert, à la page cornée du meilleur chapitre. Est-ce cela que tu veux dire ?
Eugénie. — Je songe à ta première caresse.
Émile. — Je m’en souviens comme si c’était hier. Je n’ai pas besoin de t’affirmer que tout demeure ineffaçable, là, dans ma tête, et ici, dans mon cœur.
Eugénie. — Comme cela a passé vite !
Émile. — Ça n’a pas duré longtemps, mais cela a duré quelque temps et nous en avons profité. Il serait ingrat de trop se plaindre.
Eugénie. — Écoute, mon ami : mes jambes se dérobent sous moi. Prête-moi une chaise, un pliant, un gros livre.
Émile. — Sois raisonnable. Veux-tu un conseil ?
Eugénie. — Tout de toi.
Émile. — Abrège ta visite. Fais cela pour moi. Ce monsieur s’impatiente.
Eugénie. — Tant pis pour lui.
Émile. — C’est méchant de ta part. Je ne te retrouve plus. Tu ne m’avais pas habitué à cet égoïsme. Mon avenir dépend de ce monsieur. Mais que t’importe ?
Eugénie. — Ne te fâche pas.
Émile. — Je suis peiné, froissé.
Eugénie. — Je m’en vais. C’est tout de même drôle que tu me défendes d’entrer à cause d’un monsieur. Je ne l’aurais pas mangé.
Émile. — La plaisanterie est facile.