Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maire, pêcheur également passionné. À dire vrai, celui-ci, d’une charité délicate, l’avait noté comme infirme.

Le vieil homme erra, désolé, parmi la troupe. La timidité seule l’empêchait de faire des invitations hospitalières. On suivait avec curiosité sa tête obstinément négative. Il les aimait, ces soldats, non comme guerriers, mais comme pauvres gens, et, devant les marmites où cuisait leur soupe, il semblait dire, par ses multiples et vifs tête-à-droite, tête-à-gauche :

— C’est pas ça, c’est pas ça, c’est pas ça.

Il écouta la musique, s’emplit le cœur de nobles sentiments, et revint à la maison.

Comme il passait près de son jardin, il aperçut deux soldats en train d’y laver leur linge. Ils avaient dû, pour arriver jusqu’au ruisseau, trouer la palissade, se glisser entre deux échalas disjoints. En outre, ils s’étaient bourré les poches de pommes tombées et de pommes qui allaient tomber.

— À la bonne heure, se dit le vieil homme, ceux-là sont gentils de venir chez moi !

Il ouvrit la barrière et s’avança à petits pas comme quelqu’un qui porte un bol de lait.

L’un des soldats dressa la tête et dit :

— Un vieux ! Il n’a pas l’air content. Quoi ? Qu’est-ce qu’il raconte ? entends-tu, toi ?

— Non, dit l’autre.

Ils écoutèrent, indécis. Le vent ne leur apportait aucun son. En effet, le vieillard ne parlait pas. Il continuait de s’attendrir, et, marchant doucement vers eux, pensait :