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LA LIMACE


À Charles Merki.


Il fait un tel froid que tous les promeneurs rendent la fumée par le nez. Soudain, la bonne vieille, en louchant un peu, aperçoit installée sur sa lèvre, et pelotonnée dans quelques poils de barbe givrés, comme dans une herbe rare, une limace rouge.

— Ah ! sale bête, dit-elle, qu’est-ce que tu fais là ? Attends, je vais t’en donner, moi !

Elle lui en donne en effet. Elle s’arrête en plein trottoir, et se mouche bruyamment, sans se servir de son mouchoir, de sa manche ou de ses doigts, sans un geste, et d’un seul souffle, raide comme un soldat au port d’armes.

Le cerveau se vide tout entier. Elle avait de bien vilaines choses en tête, la bonne vieille. Puis, toujours louchant, elle observe. Un moment, ses deux prunelles n’en font qu’une. La limace rouge s’agite, et de sa langue pointue, activement, nettoie la place. Il semble qu’elle nage dans la joie.

— Te voilà gorgée, dit la bonne vieille. Allons, file maintenant ou je te chiquenaude.