Page:Renard - La Lanterne sourde, Coquecigrues,1906.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE PLAGIAIRE


Éloi court chez son confrère et lui crie :

— Monsieur, vous êtes un plagiaire ; vous m’avez pillé : vous m’avez pris mon nez. Je possédais un nez pour moi seul, et j’y tenais beaucoup. J’étais né avec ce nez. Authentique, il me venait de mes parents. Bien qu’il n’eût rien d’extraordinaire, je le montrais en public, non sans fierté, et le suivais partout. Mon nez n’était pas gros, pas petit, pas grand, pas court, pas renflé, pas plat, mais enfin il était creux et, docile, il me servait à me moucher, à sentir, à éternuer, selon mes petits besoins. Je le croyais mien et je jugeais inutile d’y passer un anneau avec cette étiquette :

Reproduction interdite ; la propriété du nez est une propriété.

Je ris, Monsieur, et n’en ai pas envie. Comme on s’abuse ! Ce matin, je l’emmène à notre promenade quotidienne, et qu’est-ce que je vois ? Je le vois, lui, mon nez au milieu de votre figure. Ne niez pas. Votre nez, c’est le mien. Regardez dans la glace !

En effet, les deux nez se mirent, bout à bout, pareils et copiés l’un sur l’autre, juxtalinéairement.