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Page:Renard - Le Docteur Lerne sous-dieu, 1908.djvu/316

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le docteur lerne, sous-dieu

Je ne suis plus assuré de rien… Les figures me semblent des masques. Peut-être aurais-je pu m’en apercevoir plus tôt, mais il est certaines gens dont la physionomie reflète une âme inverse de la leur. D’autres, vertueux et probes, dévoilent fugitivement des vices imprévus et des passions inopinées, effrayants comme un prodige. Ont-ils aujourd’hui leur âme d’hier ?

Parfois, dans les yeux de mon interlocuteur passe un éclair étranger, une idée qui n’est pas de lui ; il la rétractera tout à l’heure s’il l’a exprimée, et il s’étonnera le premier d’avoir pu la penser.

Je connais des personnages dont l’opinion varie du jour au lendemain. Et c’est bien illogique.

Enfin, souvent, quelque chose d’impérieux m’envahit, un ascendant brutal me refoule en moi-même, pour ainsi dire, et enjoint à mes nerfs et intime à mes muscles des actions répréhensibles ou des paroles regrettables, — le temps d’une gifle ou d’un juron.

Je sais, je sais : chacun éprouve, depuis toujours, ces mouvements irréfléchis. Mais la raison en est devenue pour moi obscure et mystérieuse. On l’appelle fièvre, colère, étourderie, comme on nomme usages ou décorum, calcul, hypocrisie ou diplomatie la cause des révélations subites dont j’ai remarqué la fréquence chez mes semblables et qui ne seraient, dit-on, que des manquements à ces grandes choses ou des révoltes contre elles…