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la maître de la lumière

tuée près de Meaux ; c’est là qu’ils avaient passé tout l’été.

Au moment où nous sommes, le noble et spacieux appartement de la rue de Tournon abritait, en les Christiani, trois êtres parfaitement unis : Mme Louise Christiani, née Bernardi, cinquante ans, veuve d’Adrien Christiani, mort pour la France en 1915 ; son fils Charles, vingt-six ans ; Colomba, sa fille, moins-de-vingt-ans, charmante, à qui nous devons l’adjonction d’un quatrième personnage : Bertrand Valois, le benjamin de nos auteurs dramatiques, le plus heureux fiancé sur le globe terrestre.

Il faut noter que Mme Christiani tenta — sans insister, du reste, — de décider son fils à retarder son départ pour La Rochelle. Elle avait reçu, le matin même, une lettre qui lui semblait motiver un séjour de Charles en Savoie, à ce château de Silaz où l’on allait jamais que pour régler des questions de fermages ou de réparations. Cette lettre émanait d’un antique et dévoué régisseur, le bonhomme Claude (prononcez « Glaude » si vous voulez respecter l’usage local). Il y parlait de diverses affaires relatives à la gestion du domaine, disant que la présence de M. Charles serait bien utile à ce sujet, et que, au surplus, il souhaitait cette présence pour une autre raison qu’il ne voulait pas exposer, parce que « Madame se moquerait de lui, et pourtant, il se passait à Silaz des choses qui le bouleversaient, lui et la vieille Péronne ; des choses extraordinaires dont il fallait absolument s’occuper. »

— Il a l’air affolé, dit Mme Christiani. Tu ferais peut-être bien, Charles, d’aller d’abord à Silaz.

— Non, maman. Vous connaissez Claude et Péronne. Ce sont de vénérables célibataires, mais des primitifs, des superstitieux. Je vous parie qu’il s’agit encore d’une histoire de revenant, de servant, comme ils disent ! croyez-moi, cela peut attendre, j’en suis certain. Et comme j’ai prévenu de mon arrivée le bibliothécaire de La Rochelle, je ne vais pas, vous le pensez bien, lui donner contre-avis en l’honneur de ces excellents mais simples vieillards. Quant aux affaires, aux véritables affaires, rien ne presse, c’est visible.