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le maître de la lumière

Pendant des années, le cadre, le dessin et la plaque étaient restés là, hétéroclite et mystérieux assemblage. Charles, toutes les fois qu’il avait occupé cette chambre, n’avait rien remarqué. La plaque, obscure, cachait à tous les yeux la lumière qui, lentement, progressait en elle dans un sens et dans l’autre. Cette plaque avait, à peu de chose près, l’épaisseur de celles que Charles avait enlevées de la fenêtre haute ; par conséquent, il avait fallu un siècle environ pour que la lumière la traversât, pour qu’elle émergeât enfin sur une face et sur l’autre ; l’événement s’était produit, certainement, depuis le dernier séjour de Charles à Silaz.

Il observa, en regardant la face où, par une chance insensée, il retrouvait le vieux César dans son cabinet de Paris, — il observa que le tableau vivant était, dans un coin, oblitéré par une inscription parfaitement opaque, qui semblait tracée sur la plaque même : les chiffres à la craie, les chiffres insidieux qui avaient « travesti » la plaque en ardoise à écrire. Sur l’autre face, en examinant la plaque par côté, il retrouva, dans le coin correspondant, un vague vestige d’effacement, et, l’ayant essuyé du doigt, il vit ce doigt blanchi d’un peu de craie. La grand-mère Estelle, renommée pour ses épaules et non moins pour son esprit « artiste », ne s’était pas donné la peine de laver cette ardoise dont elle faisait l’envers de son Serment d’Amour. Il fallait, au surplus, que la bonne dame fût, comme on le savait, brouillonne et distraite, pour n’avoir pas fait attention aux raies lumineuses de la tranche. Il est vrai que, vues au grand jour, ces raies, extrêmement fines, pouvaient se confondre avec des miroitements, et la grand-mère Estelle se souciait peu de savoir s’il y a des ardoises qui ne sont point si mates que d’autres.

Avec quelle fièvre Charles Christiani dévorait-il des yeux le cabinet de César, qu’il découvrait comme d’une ouverture percée dans la muraille au-dessus du bureau à cylindre, comme d’un « judas » secret, pratiqué dans les siècles dix-neuvième et vingtième ! Et quelle fantastique espérance se développait en lui ! Car l’aquarelle de Lami attestait la présence de luminite dans le cabinet, au lendemain du crime, au jour même du