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le maître de la lumière

ordinaires se trouvaient remplacés par huit petits loquets de cuivre, plats, pivotant, tout à fait analogues à ceux que vous voyez ajustés derrière les cadres à photographies pour maintenir appliquée contre eux le fond de carton. L’exactitude de l’emboîtement empêchait la luminosité des tranches de se trahir à l’extérieur.

Il était facile de deviner pourquoi César avait voulu que la plaque fût amovible et pût être aisément séparée de son cadre. Il avait fait d’elle un témoin et désirait la feuilleter commodément toutes les fois qu’il éprouvait le besoin de savoir ce qui s’était passé chez lui en son absence. Autre preuve de cela : cette plaque ne constituait pas un plateau compact comme celles de la fenêtre haute lorsque Charles les avait décadrées ; mais, sur une faible épaisseur, elle était divisée en un grand nombre de très minces feuillets, exactement comme un livre non broché, et il fallait la manier avec attention pour maintenir juxtaposées ces divisions et les empêcher de se disjoindre comme se disjoignent les cartes à jouer quand les doigts qui tiennent le jeu négligent de le serrer. César avait donc opéré jadis avec cette plaque comme Charles en avait agi pour celles de la fenêtre haute. Il l’avait lue à maintes reprises.

Isolée, la plaque fut débarrassée du dessin à la plume de la grand-mère Estelle, et ce côté-là montra, dans une clarté plus douce, estompée d’une ombre s’épaississant vers le bas, le papier de la muraille, le papier Empire, crème à palmettes dorées. Sans aucun doute possible, la plaque encadrée avait fait partie de l’héritage attribué à Napoléon Christiani, qui devait épouser la grand-mère Estelle en 1842, sept ans après la mort de César. La grand-mère Estelle, beaucoup plus tard, cherchant un cadre pour sa copie du Serment d’Amour, avait déniché, en quelque grenier, ce cadre de sapin qui, pensait-elle, avait sans doute contenu, autrefois, une gravure disparue à cette heure. Elle s’en était servie pour encadrer son œuvre, utilisant comme fond la plaque de luminite. Puis, plus tard encore, le Serment d’Amour était venu échouer, avec beaucoup d’autres souvenirs de famille, au château de Silaz et dans cette chambre à coucher.