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le maître de la lumière

plume de la grand-mère Estelle, le Serment d’Amour, tamisant à travers sa feuille une clarté pauvre, — la clarté, probablement, de la chambre à coucher de Silaz, aux persiennes presque toujours closes.

Charles avait fait à Bertrand et à Colomba une démonstration complète des propriétés de la luminite. D’abord déroutés par un phénomène aussi nouveau, ils s’en étaient formé, assez vite, une conception très claire, en rapport avec la simplicité de ses effets. Et, dans le ravissement qu’ils éprouvaient à regarder dès maintenant revivre ce qui avait vécu, gens, bêtes et choses, César avec sa bonne pipe, passants, chevaux, hirondelles, mouches venant se poser sur la plaque, maisons du boulevard, quadruple rangée d’ormes où voletaient des moineaux, décor historique aujourd’hui disparu à cause des reconstructions et de l’ouverture de la place de la République, — ils n’en étaient pas moins dominés par l’idée que, bientôt, à l’heure que Charles choisirait, la sanglante journée du 28 juillet apparaîtrait dans ce cadre et qu’ils seraient les témoins du meurtre de César Christiani.

Et Bertrand Valois, pratique avant tout, réalisateur autant que peut l’être un auteur dramatique à succès (ce n’est pas rien), revint à ce qu’il considérait justement comme la première des nécessités :

— Des portraits de Fabius Ortofieri, mon vieux Charles ! Voilà ce qu’il nous faut ! Le plus de portraits possible ! Tout est là.

— J’ai fait le nécessaire, dit Charles avec une placidité souriante. Écrire à Mlle Ortofieri, il n’y fallait pas songer. Mais j’ai trouvé, dans l’Annuaire des Téléphones, l’adresse de Mme Le Tourneur qui doit rentrer à Paris aujourd’hui ou demain, si ce n’est déjà fait. Et je lui ai adressé, dès mon arrivée, une lettre explicative qu’on attendait, j’en suis sûr, avec une impatiente avidité. En même temps, je lui demande de pressentir Rita, relativement aux portraits de son grand-père.

— Bien, travaillé, jugea Bertrand.

— Je compte beaucoup sur toi, dit Charles.

— Pour quelle besogne ?

— J’estime indispensable de savoir, heure par heure,