je n’avais pas saisi jusque-là, c’est que le jeune homme ne renonçait en aucune façon à celle qu’il aimait. Autant qu’il me semble, il s’était incliné devant la volonté souveraine d’un tuteur, mais seulement pour la période pendant laquelle cette volonté avait le droit de s’exercer encore.
« En effet, dès qu’Henriette fut auprès de lui, il fit une chose que César n’avait certainement pas prévue et qui va te surprendre aussi, Bertrand, désagréablement…
— Moi ?
— Oui, toi. Et ce n’est pas sans avoir réfléchi que je me suis résolu à tout te raconter. Mais si je ne te le disais pas maintenant, demain tu le devinerais en voyant…
— Ah ! s’écria Bertrand, n’hésite pas, ne me cache rien !
— Tu le devinerais en voyant, au doigt d’Henriette, la bague d’émail noir que porte Colomba depuis vos fiançailles !
— Ma bague !
— Oui, ta bague, mon pauvre vieux, la preuve surabondante de ce que tu craignais tant !
— Mais tout à l’heure, toi-même, tu semblais douter encore…
— Je me suis laissé aller à te leurrer…
— Oh ! mais, maintenant, fit Bertrand sans s’attarder à des reproches, maintenant il faut à tout prix que cet homme ne soit pour rien dans l’assassinat ! Cet homme est mon aïeul, on n’en peut plus douter ! Il est impossible qu’il ait tué César !
— Rien n’est encore prouvé, dit Charles. Mais tout s’annonce mal pour l’homme à la canne.
— Ah ! oui, c’est vrai, les charges s’accumulent contre lui, m’as-tu dit. Comment ?
— Voici. Je te racontais donc qu’Henriette s’est avancée dans le cabinet de César. Aussitôt, l’inconnu lui a pris la main et, sous les yeux du vieillard que tant d’audace paraissait confondre, il s’est mis à lui parler tendrement, solennellement. La bague était dans son gousset, il l’avait prise et passée au doigt de la jeune