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la maître de la lumière

aujourd’hui mon vieux, je donnerais beaucoup, moi, pour n’avoir pas d’ascendants !

— Du moins connus, observa Bertrand. Car, depuis Adam, on n’a pas encore trouvé le moyen de s’en passer, dans l’ordre naturel. Allons, dis-moi : qu’est-ce qu’ils t’ont fait, tes aïeux ?

— Je parle de César et de ceux qui l’ont suivi.

— Autrement dit ?

— Roméo et Juliette. Les Capulet et les Montaigu. Y es-tu ?

— Parfaitement. Tu as rencontré Juliette, toi Roméo. Et Juliette s’appelle Ortofieri.

— Voilà. Juliette s’appelle Marguerite Ortofieri. Elle est la fille du banquier et l’arrière-petite-fille du meurtrier de César Christiani.

— Cela se corse, dit Bertrand. Pardonne-moi le mot, je ne l’ai pas fait exprès. Et que vas-tu faire ?

— Effacer. Oublier.

— Tu ne lui es donc pas sympathique ?

— Mais si ! Très, très sympathique ; j’en suis certain !

— Alors, au diable les querelles des morts !

Charles le regarda d’un air surpris.

— C’est toi qui dis cela, Bertrand ? Réfléchis. Mets-toi à ma place. Je t’ai entendu dire — assez fréquemment — qu’au fond de toi-même tu étais bien convaincu d’être le rejeton d’une vieille et grande famille…

— Oh ! fit Bertrand avec un sourire. Des blagues ! Parfois, tu sais, on sent des choses, mille choses qui s’agitent dans l’ombre de la cervelle : des regrets, des inclinations, des désirs, des élans, des espèces d’intuitions, de fausses certitudes… On prend tout ça pour de l’argent comptant, je veux dire : pour des avertissements de l’hérédité, la voix de l’atavisme ! Mais…

— Sois sincère.

— Eh bien, je l’avoue, là ! J’aurais tant de plaisir à descendre de types épatants, que j’ai fini par croire que c’est arrivé, et qu’un jour, comme dans les mélodrames, on retrouvera des papiers, dans une cassette, des papiers qui me feront reconnaître ! Duc de je ne sais quoi ! Marquis de ceci ou de cela !

Il éclata de rire.