— Tu ris, dit Charles en hochant la tête, mais écoute : figure-toi un instant, — toi qui es loyal, toi qui ne badines pas avec l’honneur, malgré ta face de bon enfant plein d’indulgence, — toi enfin qui te conduis comme si tu t’attachais à ne pas déchoir d’une noblesse de plusieurs quartiers, — figure-toi, dis-je, que réellement tu aies derrière toi des dizaines de générations entêtées d’honneur et de tradition, voire de préjugés stupides mais superbes ! Figure-toi que tu tiens l’étendard et l’épée de ta race !
— Diable ! reconnut Bertrand. C’est vrai…
— Songe que je ne puis trahir les miens…
— Oh ! ce n’est pas Colomba qui t’en tiendrait rancune !
— Et ma mère ?
— Oh ! là ! là ! c’est autre chose ! Enfin Mlle Ortofieri est de mon avis, rigoureusement.
— Alors, en effet, je ne vois pas d’issue… Je ne suis pas venu pour que tu m’aides à en trouver, mais pour que tu m’aides à oublier. — Il est bien dommage, reprit Bertrand, que nul Christiani n’ait pensé à venger le vieux César. Depuis bientôt un siècle, une bonne vendetta, un sérieux coup de torchon… Aujourd’hui, vous seriez, quittes.
— Nos deux familles ont évolué, depuis lors, dans un monde où les rancœurs ne se manifestent pas à coups de poignard ou d’escopette. Et puis, cela vaut mieux ainsi ; on n’en finit jamais avec les vendettas ; toute vengeance en appelle une autre.
— Et le sang de César crie vengeance ! déclama Bertrand.
— Malgré quoi les Ortofieri nous en veulent, comme si, pardieu, c’était leur Fabius qui eût été assassiné par sa victime !
— Ah ! vous n’êtes vraiment pas des gens commodes ! Quand je pense que mes enfants, à moi, seront à moitié Corses ! Quels défenseurs j’aurai là !
— Qui sait ? remarqua Charles. Tu es peut-être plus Corse que je ne le suis !
— Avec un nez comme ça ? Un nez… à la Choiseul ?