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le maître de la lumière

nant, à cause de la contexture feuilletée, il penchait à croire que c’était là une espèce d’ardoise et il supposait :

« Une matière naturelle ? Non. Un produit fabriqué, plus vraisemblablement. »

Quand on frappait du doigt cette « ardoise », elle rendait un son très sourd, très étouffé. Ce qui fit que Charles pensa à cet autre corps formé de feuillets innombrables : le mica.

Pour l’heure, que faire de plus ?

La nuit s’avançait. Les trois serviteurs s’étaient retirés, beaucoup moins émus que ne le méritait une découverte aussi sensationnelle, mais dont toute la portée leur échappait de même que toute l’étrangeté.

Le grand lit, sous ses courtines vieillottes, entr’ouvrait ses draps d’une blancheur hospitalière. Mais Charles n’avait pas la moindre envie de se coucher.

Il lui semblait être électrisé, avoir dans le sang comme du champagne ! Une magnifique exaltation l’animait. Il était pareil au premier qui découvrit l’existence de l’électricité, la force de la vapeur, la possibilité de parler à distance ou les propriétés toutes-puissantes d’un liquide ou d’un gaz.

Et aussi, l’historien qu’il était éprouvait là une volupté incomparable. Ouvrier du passé, aimant les époques disparues comme le musicien aime les sons et le sculpteur le marbre, il jouissait d’une joie aiguë à posséder dans cette chambre, en face de lui, ces choses, ces deux merveilles semblables qui étaient, quoique présentes, du passé. Du passé réel, palpitant. Elles étaient le lieu extraordinaire où, du moins pour les yeux, la vie du monde se déroulait avec un retard d’un siècle environ. Elles étaient de l’Histoire, non pas cinématographiée, mais admirablement actuelle, quoique séculaire !

Il en frissonnait. D’autant que, confusément, mais avec une véhémence croissante, avec un trouble qu’il finit par préciser, la conviction le gagnait, superstitieuse, que l’apparition de César Christiani n’était pas l’effet du hasard. Que cette apparition fût scientifique, cela lui importait peu. En fut-il jamais d’autres, au surplus ? Et rien peut-il arriver, même du ciel, qui ne soit con-