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le péril bleu

charbon, une pierre pointue… Il comptait répéter tout cela et faire réciter sa théorie le jour suivant.

La nuit tomba. Mme Le Tellier, la regardant s’épaissir, joignait les mains et murmurait ; « Marie-Thérèse ! Où es-tu, ma petite Marie-Thérèse ! » Pour la détourner de son idée fixe, Mme Arquedouve se demanda tout haut quel endroit serait victimé cette fois-ci. Et là-dessus, Robert proposa d’achever le montage de la seconde lanterne.

Il lui fut objecté qu’il valait mieux le faire en plein jour, et qu’on avait pour cela dix-huit heures de soleil.

Ce fut alors le commencement d’une de ces veillées si pénibles à ceux qui ont le cœur triste. Chacun s’ingéniait à tuer le temps. Mme Le Tellier tenta de réussir une patience. Sa mère fit du crochet, où son industrie surpassait l’adresse des voyantes. Non loin d’elles, dans le billard attenant au salon, M. Le Tellier, Maxime et Robert entamèrent une partie de carambolage.

On avait laissé les fenêtres grandes ouvertes, car il faisait beau et tiède. Elles donnaient sur la terrasse. La lumière de l’intérieur éclairait les marronniers et les premières branches du ginkgo, plats et stupéfiés comme des arbres peints. Au delà du parapet, la campagne s’entrevoyait confusément, obscure et bleue. Le choc des billes, le bruit des pas foulant le tapis, quelques voix du côté de l’office…, rien d’autre sur le fond du silence. Par intervalles, toutefois, un train sillonnait d’une trainée d’escarboucles l’ombre profonde, sonnait métallique au pont de Marlieu, et quittait la scène. On entendait aussi — mais en prêtant l’oreille — de légers remuements du gravier : et c’étaient les allées et venues de Floflo, bon petit factionnaire qui montait la garde.

De telles soirées, si douces, devraient toujours être des fêtes…

Mais qu’est-ce qu’il y a ?  !

Qu’est-ce qu’il y a ?… Pourquoi Mme Arquedouve accourt-elle dans la salle de billard, les mains en avant, la figure bouleversée, balbutiant d’effroi ?…

— « Qu’avez-vous ? » s’écrie M. Le Tellier.

— « Ah ! Jean… Jean… Les voilà ! »