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le péril bleu

— « Ils ont bien choisi ! » remarqua M. Le Tellier. « Ah ! les sacripants ! Le plus bel arbre de la région ! Le seul ginkgo !… Mais comme ils se sont esquivés ! Mme Arquedouve prétend qu’ils sont arrivés par la montagne ; ils seront repartis de même, et c’est justement le secteur que vous ne pouviez pas éclairer !… Du reste, parbleu ! le chien les a suivis jusqu’au bout du jardin. Ah ! il les a bien sentis ! Brave Floflo ! »

— « Pauvre Floflo ! » dit Robert, qui semblait extrêmement soucieux.

— « Pourquoi « pauvre » ? Est-ce qu’ils l’ont enlevé ?… Vous l’avez vu enlever ?… »

— « Non… Mais il a cessé brusquement de japper… »

— « Floflo !… Floflo !… » cria M. Le Tellier.

Pas de Floflo.

On n’osa pas le chercher dans les ténèbres inquiétantes. La cuisinière l’appela toute la nuit par l’entre-bâillement d’un vasistas… Il avait été pris.

C’est ainsi que Mirastel fut hanté par les Sarvants, que l’on nommait encore des « hommes volants » et aussi des ornianthropes ou des anthropornix.

Cependant les témoins de ceci demeuraient perplexes non seulement à cause de la promptitude et de la dextérité des maraudeurs, mais, de plus, au souvenir du vent qui avait soufflé sur les feuilles. Il avait soufflé une seconde à peine, ce vent : le temps d’un coup d’aile…, comme si vraiment une aile avait éventé les feuilles… Et quand on pensait aux bêtes réveillées, alarmées, aux volailles gloussant à l’oiseau de proie, — l’hypothèse des aigles (insensée !) reprenait toute sa force.

En vain M. Le Tellier s’admonesta et se rappela que les dénicheurs d’aigles, recrutés par son beau-frère, étaient revenus les mains vides. Il n’en frémit pas moins d’une terreur fabuleuse quand il apprit, le lendemain soir, une étrangeté nouvelle et suffocante.