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autres faits contradictoires

Ayant conseillé au mécanicien de garder le silence à propos du dirigeable, le fils de la maison, s’approchant du pêcheur, lui fit recommencer son histoire.

Elle n’était pas ordinaire, et datait du jour même.

La maison de Philibert est située près de Coniux, au bord du lac. Il en était sorti le matin, vers cinq heures, pour aller « garnir » sa jument ; et le lac, un instant, l’avait fait s’arrêter. Car il aimait à contempler sa pêcherie.

L’eau, étincelante d’aurore, était lisse et transparente. Les poissons nageaient contre la surface… Mais soudain, la platitude miroitante se trouva rompue. À quelque distance du rivage, Philibert vit se former dans l’eau quelque chose comme un creux instantané, fugitif…, et du fond de ce trou, s’élança le plus magnifique brochet que l’on pût se figurer. Le poisson jaillit, d’un bond formidable, hors de son élément, et n’y retomba plus ; mais, tandis que le nombril du lac se refermait sur une vague, il commença de surprenantes contorsions. Durant trois ou quatre secondes, il fouetta l’air de sa queue et de ses nageoires, puis s’en alla, voletant au-dessus du Bourget, comme font les martins-pêcheurs. Il doubla le promontoire où se dresse le château de Châtillon, et s’éclipsa derrière lui.

Telle est l’histoire que Philibert conta beaucoup moins nettement. Les domestiques l’entendaient pour la deuxième fois, et cependant ils s’exclamèrent de nouveau.

— « Vous pensez », reprit le pêcheur, « ce que je me frottais les yeux !… Et il avait l’air tout folâtre, le bougre de poisson ! »

— « Pourtant, » dit M. Le Tellier, « il faisait des contorsions très violentes, n’est-il pas vrai ? »

— « Ah ! oui, alors ! Il avait l’air de se donner un mal de chien ! Dame ! »

M. Le Tellier fit un signe à Robert : — Voilà qui ressemblait curieusement aux hommes de Châtel et à l’aigle du Colombier…

Maxime intervint :

— « Allons donc, Philibert ! Vous avez la berlue… Vous avez vu ça ?… La main sur la conscience ?… »

— « Je le jure ! »