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le péril bleu

quelle poussée que je sentis agir sous mes semelles tout à coup — me lança en l’air. On aurait dit que la terre me jetait au ciel. J’étais une sorte de boulet de canon projeté…

Et j’étais seul au milieu de l’espace, à monter tout droit, vite, vite… En dessous, le pré du Forestel n’était déjà plus que le centre mesquin d’un cercle immense s’agrandissant sans cesse, et le Colombier paraissait s’aplatir au niveau du reste. À cause de mon ascension rapide, le cercle — la Terre — semblait un entonnoir mouvant dont tous les points se seraient précipités vers le milieu, aspirés par une ventouse centrale. Sensation de nausée au-dessus de cette cuvette vertigineuse, atrocement écœurante. Le vertige me paralysait. D’abord j’avais gesticulé comme les hommes de Châtel, pour m’échapper. Maintenant l’effroi du gouffre me pétrifiait, — la peur d’y retomber, si la force mystérieuse venait à manquer.

Je m’aperçus que j’étais dans la posture d’un accroupi. Accroupi ? Sur quoi ? Sur une immatérielle et pourtant solide plate-forme, — immatérielle et pourtant réelle, irréelle et cependant matérielle, — un plateau qui n’existait pas et pourtant qui, oui, qui vibrait ! — Impossible de bouger pour contrôler. Le vertige : armure sans jointures. Je voulus consulter les instruments dont je m’étais nanti, le baromètre entre autres ; impossible.

Néanmoins, je parvins à raisonner dans mon immobilité. Je réussis à écouter. Le bourdonnement persévérait alentour. Il y avait aussi le bruit, le vent de mon ascension : sssssssssss… Mais je ne sentais aucun souffle. Alors je pensai être dans un courant d’air ascensionnel, au sein d’une colonne verticale de vent artificiel qui me soulevait aussi vite qu’elle-même fusait vers le zénith… Mais cela n’expliquait pas le contact solide de mon point d’appui.

À ce moment-là, j’avais encore la conviction que