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le péril bleu

l’on eut encore à déplorer la perte de l’urne en simili-bronze, garnie d’un géranium-lierre, qui surmontait l’un des piliers d’une grille d’entrée. L’autre vase, sur l’autre pilier, avec un autre géranium-lierre, fut respecté. (Toujours cet esprit de dépareillage et de taquinerie spécial aux Farfadets, Gnomes, Lutins, Kobolds, Dives, Gobelins, Korrigans, Djinns, Trolls — et Sarvants.)

À leur réveil, les pandores jumelés qui s’étaient endormis d’un si fâcheux accord ne retrouvèrent plus les Italiens. Mais ils soutinrent mordicus que ceux-ci étaient dissimulés sous les ramures au point de pouvoir, sans être aperçus, se couler à travers bois, exécuter leurs vilaines prouesses et rallier leur cachette.

Il est du reste avéré que les journaliers étaient partis de grand matin, se dirigeant vers Châtel. Un jeune garçon put les rejoindre à bicyclette dans ce hameau, situé, comme les autres, sur la route de Bellegarde à Culoz, entre fleuve et mont. Là, toute la journée, on vit les deux compagnons aller de porte en porte, implorant un embauchage qu’on leur refusait inexorablement. Les Châtelois supputaient la continuation des bizarreries et savaient qu’à présent c’était leur tour d’en souffrir. Ils regardaient les deux parias comme les éclaireurs du Malin.

Or tels se présentaient les courriers diaboliques : l’un, grand et blond, faisait contraste avec l’autre, petit et brun. De larges ceintures les sanglaient, rouge pour le premier, bleue pour le second. Vêtus de costumes pareils, d’un beige décoloré, coiffés de vagues feutres moulés à leur tête, ils étaient chaussés de lourds brodequins, et chacun portait en sautoir son bissac et ses outils de terrassier liés en faisceau.

Le soir venu, chassés de partout, même de l’auberge, ils mangèrent du pain tiré de leurs bissacs, et s’étendirent sous un buisson, à l’orée du village, du côté de Culoz.

Les habitants, apeurés de sentir descendre une nuit redoutable, emprisonnèrent les bêtes et verrouillèrent les portes. Le soleil n’avait pas touché l’horizon, que le silence de minuit régnait déjà sur Châtel.

Le reporter parisien et deux gendarmes de rechange prirent alors position à la lucarne d’un grenier bas, d’où