Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
les voleurs volants

l’on découvrait le buisson des Italiens. Ces trois guetteurs avaient décidé de partager la nuit en quatre périodes de garde ; un seul d’entre eux prendrait le quart, pendant le sommeil de ses compères. — Ce fut le brigadier Géruzon qui monta la première faction, tandis que, en prévision de la leur, son collègue Milot et le publiciste ronflaient dans la paille. Géruzon devait les prévenir à la moindre alerte.

Les suspects reposaient à vingt mètres de lui, couchés contre une touffe d’églantiers. Non loin, sur la gauche, passait la route, bientôt disparue à la corne d’un bois. De ce même côté, le Rhône grondait. Et de l’autre, s’élevait, immédiat, en son écrasante suprématie, le Colombier massif, énorme entassement d’étages chaotiques, tout bossué de contreforts et sinué de ravines, rocheux et verdoyant, sombre à cause de l’heure, et masquant d’un éperon final les maisons de Culoz.

Une cloche piqua sept coups, et l’on avait encore devant soi quelques bons instants de clarté, lorsque Géruzon vit le grand Piémontais bouger, s’asseoir et réveiller son camarade. Ils eurent ensemble un colloque à voix basse, firent des gestes vers le hameau, d’un air découragé, comme si quelque chose les avait déçus, puis soudain, paraissant se décider, jetèrent leurs bissacs et leurs outils en bandoulière, et, s’engageant sur la route, se mirent à marcher dans le sens de Culoz.

Le brigadier Géruzon se dit alors que réveiller ses coopérateurs prendrait du temps et ferait sans doute quelque bruit. Comme les Italiens venaient de s’éclipser à la corne du bois, il sauta de la lucarne à terre et s’élança derrière eux. Et il fallait le voir courir ! sans emprunter la route, bien sûr, en vue des fugitifs, — mais à travers champs et tout droit sur ladite corne.

Il y parvenait, quand une sorte d’exclamation, — une sorte de « Hop ! » a-t-il dit, — frappa ses oreilles. Et dans l’instant qu’il arrivait au chemin, sortant avec mille précautions du rideau de feuillages, il aperçut les deux Piémontais à la distance de soixante mètres environ, mais pas sur la route : au-dessus de la route, à la hauteur approximative de quinze mètres, s’enlevant toujours plus haut et filant vers Culoz avec une rapidité surpre-