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le péril bleu

dessus du niveau de la mer ; mais le fait n’était vérifiable qu’au pied même de la cime ou très loin de la montagne, à cause des masses environnantes qui faisaient écran.

L’ascension fatiguait les femmes, mal équipées. Mme Le Tellier, naguère si paresseuse, gravissait avec acharnement les sentiers malaisés. L’hiver en avait fait des lits de torrents, jonchés de pierres coupantes où les pieds se blessaient, où les chevilles se tordaient…

Ce fut, tout d’abord, une battue assez logique, cernant le Colombier. On observait. De temps à autre, quelqu’un jetait à pleine voix un long appel… Mais, à mesure que le soleil baissait, la fièvre gagna les malheureux parents. Ils descendirent au fond de ravines abruptes qu’il suffisait de côtoyer pour découvrir tout entières. Mme Le Tellier soulevait des cailloux, écartait des feuillages, et regardait dessous, inconsciemment. Ils allaient de droite et de gauche, à tort et à travers. Bientôt ils ne cessèrent plus de crier. M. Monbardeau hurlait sans trêve un refrain familial, ce joyeux thème, ce bout de musique allègre dont les vallons du Colombier avaient retenti jadis tant de fois, et qui résonnait aujourd’hui lugubre et mineur, sans que personne s’aperçût de l’étrange modulation.

Un tel désordre s’étendit forcément aux autres pelotons, partout disséminés. Le silence du soir s’emplit de clameurs. L’écho les multipliait ; cela fit croire à des réponses. Pensant aller vers ceux qu’ils recherchaient, les uns et les autres se trouvaient nez à nez. Il leur fallait revenir sur leurs pas et reprendre la voie délaissée. Le temps se couvrit ; la nuit venait ; l’ombre accumula des formes indécises et transforma les choses. Des taches de feuilles rougies, sur la mousse, épouvantaient de loin. On tremblait en fouillant du regard les à-pic, du haut des roches vertigineuses. La bise anima d’une vie frémissante les sapins funéraires et les fourrés compacts ; on aurait dit, soudain, qu’ils abritaient un blessé convulsif ou quelque présence inopinée… Mme Monbardeau se lacérait les mains à force de scruter les buissons épineux. Bornud, l’œil attentif, espionnait la vie forestière, et son chien quêtait devant lui, le nez au vent…

Mais rien, — rien, — rien. Rien de visible sur ces mau-