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le carnaval du mystère

D’un regard instantané, par-dessus l’épaule, j’interrogeai l’arrière. Je ne vis que la nuit.

Allais-je sentir deux mains m’empoigner le cou ?

Que faire ? Fallait-il s’arrêter ? Devais-je, au contraire, simuler l’inconscience ?… Mes doigts se crispaient au volant. Je m’aperçus que j’avais donné tous les gaz, toute l’avance ; que l’accélérateur était à fond, et que je me précipitais vers l’avenir à tombeau ouvert.

Je rentrai la tête dans les épaules. Ah ! ce dos, ce dos aveugle, ce hideux envers de nous­-mêmes, cette moitié morne, ce demi-cadavre que nous remorquons !… Qu’aurais-je vu, en me tournant ? La question se posait d’une manière fantastique. Car l’idée d’une créature humaine ne dominait pas mon esprit. Tout cela s’embrumait d’une incertitude, d’un flou que je ne saurais exprimer. Les brouillards du délire estompaient ce prodigieux quart d’heure. Il y avait quelqu’un derrière moi, mais, en vérité, sur quel plan du monde ? L’intrus était-il de nature à s’asseoir sur des coussins de cuir ? Ou portais-je en croupe un invisible Roi des Aulnes ? Quel être était sorti de l’ombre pour m’escorter ? Est-ce que j’avais la fièvre ? Étais-je ivre ? Souffrant ?

Il y avait quelqu’un derrière moi. Quelqu’un ou quelque chose d’inconcevable. J’en étais sûr. Et courbé, raidi, suant une sueur de damné,