Page:Renard - Le carnaval du mystère, 1929.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
le carnaval du mystère

— Eh bien ! Rebel, lui, vous aurait reconnu !

— Oh ! Oh ! Ce visage noyé de ténèbres, je ne pouvais plus en détourner les yeux… Rebel !… Qu’il était triste, et comme il écoutait ! Comme il écoutait son œuvre posthume !

— Reconnaissez que les mots eux-mêmes…

— Il est parti au moment des acclamations, dans le déchaînement superbe du triomphe. Il est parti, sinistre, seul, dans le brouillard. Et moi, je le suivais, sans avoir pris le temps de réclamer ma pelisse au vestiaire…

— C’était fou !

— Je voulais lui parler ; mais une angoisse effroyable me retenait. Plusieurs fois, je fus sur le point d’appeler : « Maître ! maître ! » Je n’osai pas. Maintenant, malgré les passants, j’avais peur qu’il ne se retournât et qu’il ne vînt à moi, avec son visage d’outre-tombe… D’ail­leurs, le cimetière Montparnasse est loin du Châtelet… Je croyais avoir le temps…

— Certes, il est fâcheux que cet inconnu ait suivi justement le boulevard du Palais. Mais combien de personnes, à la même minute, prenaient le même chemin !

— J’aurais voulu, au moins, aller jusqu’au bout, jusque… là-bas, vous comprenez ? Ne rien dire peut-être, mais le voir encore, prodi­gieusement, marcher ainsi, jusqu’à sa tombe, comme un vivant ! Un vivant cher et glorieux ! Lui, le grand mort dont j’ai pieusement recueilli