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LE BROUILLARD DU 26 OCTOBRE

chaussures luisantes de rosée ; je ne le voyais plus. Fleury-Moor s’arrêta. Je regardai mes pieds ; ils avaient disparu. Dans le brouillard environnant, un second brouillard montait avec rapidité. Nous l’avions aux genoux. Il était d’une température de glaçon, qui mordait la chair de nos mollets.

Fleury-Moor se pencha vers moi :

— « J’aime mieux attendre que ce soit passé », fit-il du ton le plus naturel. « On s’égarerait, ma foi ! Cela ne peut pas durer. Très intéressant, vous savez. Rarissime ! »

Ses paroles tranquilles me parvenaient comme au long d’un mauvais porte-voix. Elles fumaient en bouffées de pipe, dont le brouillard s’emparait aussitôt.

— « Je me demande ce qui va nous arriver », dis-je avec effort. « Les jambes me font diantrement souffrir… Et cela grimpe… »

— « Que voulez-vous qu’il nous arrive ? » persifla le spectre fuligineux.

Je saisis le bras de Fleury-Moor qui se laissa faire sans résistance, et nous assistâmes à notre ensevelissement. Nous devînmes à nos propres yeux des ombres-bustes, puis