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LA CANTATRICE

Borelli haussa les épaules. J’observai que la mer occupait ses yeux uniquement. Il scrutait sans relâche son étendue mouvante. Elle était sage et pailletée de lune. Un dauphin se jouait dans les flots ; par intervalles, on saisissait les torsions ou la détente de sa queue, en nacres fugitives. Les phares, échelonnés, gesticulaient diversement avec leurs bras de lumière infinis.

— « Vous n’y pensiez pas ? » raillait Borelli. « Allons donc ! Vous avez peur. J’exècre les importuns ; vous le comprenez fort bien. Laissez-moi tranquille, mon cher monsieur ! »

Je n’étais qu’un vieux bonhomme sans vigueur…

— « Écoutez, Borelli, je m’en vais, c’est compris. Loin de moi l’intention de vous être désagréable, mon garçon. Mais ne dites pas que j’ai peur. Je n’ai pas peur. Qu’est-ce que c’est que ces choses à vos pieds ? »

— « Allez-vous-en ! » beugla le colosse. « La paix ! la paix ! la paix ! ou sinon… »

Je battis en retraite d’un pas tranquille, maîtrisant une furieuse envie de courir et de me sauver à toutes jambes.