Page:Renard - Sourires pincés, 1890.djvu/38

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les fourmis et gardons les distances ; notre bonheur en dépend ! » —

— « Alors, tu n’es pas fâché ? » —

— « Es-tu bête ! Avec vous, femmes, dès qu’on raisonne, on se fâche ; me prends-tu pour un Clinabare ?  » —

— « Un Clinabare ? » —

— « Oui, ou un Cantabre, un barbare enfin ! » —

Il avait lu, ce matin même, les premiers chapitres de Salammbô, et les noms sonores lui revenaient à la mémoire presque malgré lui.

— « Enfin, puisque tu dis que tu m’aimes ! » —

— « Mais oui, sois donc tranquille, et je te le prouverai en temps opportun. » —

— « Veux-tu m’embrasser ? » —

— « Parbleu ! mais comment donc ? cela ne se demande pas. » —

Ils étaient encore à genoux et se faisaient face. Ils n’eurent qu’à se pencher. L’élasticité du sommier les déséquilibra, et ils ne purent s’embrasser qu’au petit bonheur, une boucle de cheveux, une portion de nez, tandis que les regards allaient mollement, involontairement, par l’entrebâillement des chemises, à des nudités bien connues et calmes. Le premier, Albert allongea son corps,