Aller au contenu

Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
CRIME DE VILLAGE


bordée de bleu, avait sonné à la porte du château, dans la certitude, que n’avaient jusque-là jamais trompée ces dames, d’y rester à dîner.

La servante qui lui ouvrit lui jeta en pleine face :

— Cette fois, elles n’y sont pas, Monsieur le Curé.

Le curé flaira une plaisanterie.

— Point, dit-il vivement ; je ne le crois pas.

— Croyez-le, dit la servante.

Il demeura atterré, fixa sur son nez ses lunettes fumées, regarda la servante, lui vit un sourire malin, ne dit rien et partit.

Où allait-il dîner maintenant ? Ce n’était pas son jour au moulin : ce n’était son jour nulle part.

Il marchait sur la route, absorbé, sans répondre aux saluts, laissant pendre son ombrelle ouverte, à fond jaune, qui lui tapait sur les jambes, vraiment frappé de stupeur en face de cette chose inattendue.

Il ne se demandait pas où pouvaient être ces dames. Cela seulement occupait fixement son esprit :

— Un dîner perdu ! pas de dîner ce soir !

Il alla longtemps la tête basse et, quand il leva les yeux, il se vit au milieu de deux rangées d’arbres si grands qu’ils lui cachaient le soleil et formaient au-dessus de sa tête comme un dôme vert, ça et là percé à jour.

La fatale nouvelle l’avait entraîné par trop loin : puisqu’il ne devait pas dîner, mieux valait aller se coucher et dormir. Il voulut revenir sur ses pas ; mais, au lieu d’un demi-tour, il fit un tour entier, d’une manière vive et pressée.

Son ennemi mortel le suivait à quelque distance.

Affolé, il marcha à grandes enjambées.

Mais l’autre gagnait visiblement sur lui.