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JULES RENARD

Moitié paysan, moitié bourgeois, il avait une blouse, un visage anguleux, un petit chapeau à bords courts, presque une casquette, et, à la main, un bâton noueux dont l’un des bouts était traversé par un cordon de cuir.

Il se hâtait et donnait à son bâton un mouvement de virevolte rapide. Il mit sa large main sur l’épaule du curé.

— Où donc que vous allez comme ça, Monsieur le Curé ?

— Monsieur Moru, je vais chercher à dîner, dit le curé d’une voix morte.

— Ah ! elle est bonne ; mais c’est pas de ce côté-là. Vous vous êtes trompé de route, bien sûr. V’là ce que c’est que d’avoir le nez sur son bréviaire. C’est votre jour au château, ce soir, c’est-il pas vrai ?

— C’est vrai, dit le curé qui se crut quitte et voulut lui tourner le dos.

Moru lui serra l’épaule.

— Eh ! ben ! eh ! ben. C’est comme ça qu’on quitte les amis ?

— Mon ami, dit le curé d’une voix moins molle, il se fait tard.

Et il fit un mouvement en arrière. Mais la main serra davantage, et la figure de Moru, jusque-là patelin, devint furieuse.

— Ah ! tu crois, bedon, que j’vas te lâcher, maintenant que je te tiens ? Dieu de Dieu ! J’voudrais ben que ma fille fût là.

Le curé comprenait depuis longtemps. La fille du père Moru était, comme son père, entre deux classes, moitié bourgeoise, moitié paysanne.

Moru l’avait, toute jeune, retirée du couvent