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JULES RENARD


du simple, mais du bon, et il parla à l’oreille de l’aubergiste qui ouvrit grandement la bouche et les yeux et sourit d’intelligence.

Le père Moru était d’une brave gaîté et le curé, encore un peu défiant, s’y mettait tout de même,

— Moi, voyez-vous, disait le père Moru, quand j’en veux, j’en veux ; mais quand c’est fini, c’est fini ; plus de bouderie ; tope-là et allons-y ! Et il secouait les mains du curé.

— Ça, c’est bien, dit simplement le curé. Et il se sentait tout à fait rassuré, le nez chatouillé par d’agréables odeurs.

On mangea comme des affamés. Ils se gonflèrent à se déboutonner. Le père Moru assaisonnait le tout d’histoires salées et le curé se renversait sur sa chaise en arrière, en fermant les paupières, suffoquant, rouge, gavé, vidant à larges traits son verre qu’il trouvait toujours plein, au milieu des rires de l’aubergiste et du garçon et des gloussements des poules de la basse-cour qui se promenaient sans gêne jusque sous la table.

— Voyez-vous ce vieux soufflé qui a braillé contre moi !

Et le curé riait plus fort, se trouvait mal, avouait qu’on était bête par moments, et qu’au bout du compte tout le monde était libre.

Aux liqueurs on se tutoya. Au tabac, ils s’embrassèrent.

— Ça y est ! dit tout à coup le père Moru qui voyait les yeux du curé pleurer de petites larmes hésitantes.

Avec de longs efforts, il se leva et le fit lever.

— Va donc, tonneau ! dit-il en le poussant dehors