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Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/332

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SOURIRES PINCEÉS


rante années de ménage, il ne pouvait encore se croire marié à une telle femme. Fréquemment il disait d’elle, comme parlant d’une étrangère : "Non, jamais je n’en ai vu une pareille ! "

Il lui découvrait aujourd’hui un défaut, observé hier, que sincèrement il croyait neuf. Il ne se lassait pas de la gourmander, de la tarabuster avec l’entrain d’un homme virulent et jeune. Il causait bien, ayant fréquenté des ouvriers de ville ; mais, quand il s’adressait à sa femme, ses phrases, correctes au début, se terminaient toujours grossièrement, en dépit de son usage du grand monde, pareilles à ces masses dont le manche léger s’est poli au frottement des mains, qui peuvent d’un seul coup de leur lingot de fer assommer un homme.

Tous les deux, en effet, étaient si différents l’un de l’autre ! Le vieux, maigre, la peau jaune et dure au toucher comme une cosse de légume sec, portait avec noblesse sa barbe blanche et ses cheveux bouclés, qu’il se taillait avec son sécateur de vigne dès qu’ils lui tombaient dans l’œil. La vieille, au contraire, se perdait au milieu d’une chair croulante, et, comme si un filet l’eût enveloppée, eût pesé sur elle du poids de tous ses plombs, elle marchait les yeux baissés vers la terre.

— Je ne la bats pas, disait le vieux, de peur d’enfoncer et d’y rester !

Elle avait beau se laver, elle suait trop vite, et la saleté se reformait rapidement, la démangeait, et, plus d’une fois, il lui arriva de se tromper, de croire à l’acharnement d’une mouche :

— Voyez donc si je n’ai pas une bête ? demandait-elle en montrant son cou rougi par le grattage des ongles.