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SOURIRES PINCÉS


— Est-ce que ça te servira de leçon, au moins ?

Pierre hésita avant de répondre ; puis il dit aux deux sœurs :

— Allez donc voir au poulailler s’il n’y a pas des œufs !

Quand elles se furent éloignées, il reprit :

— Soyez tranquilles, papa et maman, je ne sortirai plus le soir.

La Griotte n’accepta pas cette exagération :

— Oh ! de temps en temps, tu pourras nous laisser ! Il faut jeter ta gourme !

Emu par tant de douceur, Pierre s’enhardit :

— D’abord, c’était une farce !

— Comment !

— Oui, c’était pour vous faire en croire. Vrai comme je le dis, je connais point de fille. Quand j’avais dépisté maman, je rentrais tout de suite à l’écurie. Tu te rappelles, le soir du parapluie ? Eh  ! bien, tous les soirs c’était la même chose ! Quand tu m’as suivi le long de la rivière, jusqu’en face de la pile, je t’ai joliment mise dedans. Tu as cru qu’elle était là, la fille ! Il n’y avait pas plus de fille que sur ma main. Je causais tout seul. Ça ne m’amusait point toujours. Des fois, je gelais dehors. D’autres fois, je travaillais pour passer le temps. La dernière nuitée, je suis allé dans la vigne et j’ai resserré avec une clef les fils de fer qui s’étaient détendus, même que j’ai relevé, au clair de lune, des supports à moitié tombés. Dame, vous vouliez me contrarier. Alors, j’ai voulu vous contrarier aussi, moi, na ! " —

Il avouait tout, la tête basse, modeste, souriant aussi, car il se félicitait d’avoir si bien joué à cache-cache. Il ne s’apercevait pas que la figure de son père s’empourprait graduellement. La Griotte pou-