n’y a de brume que juste ce qu’il faut. Les orages naturels y sont presque aussi rares que ceux du cœur. Ce n’est pas ici qu’on leur demandera : " Est-ce une goutte de votre
pluie ? " L’âme y est comme la nature : si elle ne va point jusqu’à rire, elle sourit de s’être fâchée. Ses horizons aussi sont nets : de partout il fait clair en elle. Les hôtes appartiennent
à la classe moyenne de la galanterie honnête
et rangée, de la bourgeoisie, et des lettres.
Ils vont à la mer, comme il est de mode dans le roman depuis les alentours de l’année
1890, mais, leur point d’attache, c’est
Paris, où Blanche et Maurice, Marthe et Pierre, analysent avec finesse, leurs sentiments, où ils se tiennent à l’écart du monde grouillant des affaires et de la haute noce. Leur
point d’attache, c’est surtout cette campagne nettoyée où l’on ne voit plus de loups : ce qu’ils sont devenus, Philippe l’ignore. On peut donc s’y promener en toute sécurité.
Les paysans ont cessé eux-mêmes d’être des loups. Ils ne se servent plus de leurs fourches que pour remuer le foin, que pour engranger bottes et gerbes, de leurs haches que contre les arbres. Or, cette maison de campagne est démontable.
Si elle s’adapte merveilleusement au Nivernais,
on peut l’installer simultanément dans la France entière, par l’imagination, supprimés quelques accidents de terrain, je veux dire — car on ne saurait jamais trop préciser, la plupart des gens étant rebelles à l’image, — quelques
accidentelles différences de mœurs quelques hérissements d’âme et de langage, plus sensibles dans des régions demeurées plus farouches.
Nisard, qui reste noire plus grand critique doctrinaire et qu’on oublie trop, définissait l’art : " l’expression de vérités générales dans un langage parfait. " Or, je suis certain que y parlant des paysans, Renard a réalisé ces deux conditions. La perfection de la forme , dans ses chapitres, dans ses poèmes en prose, dans ses séries les
