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Page:Renaud - Poésies, Recueil intime, 1897.djvu/34

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recueil intime


« Et si le noir Destin demain me venait dire :
— « Veux-tu changer de rôle, être un des insensés
« Qui, lorsque ton gosier magique les attire,
« Par les poulpes hideux, sous l’eau, sont enlacés ?

— « Oui, je le veux, crierais-je, ivre de trop de joie.
« Qu’on m’ôte mon palais sous l’eau pâle dormant !
« Lasse d’être bourreau, je vais devenir proie ;
« Je pourrai croire enfin, moi le monstre qui ment. »


*


Ainsi pleurait la voix au milieu des ténèbres.
Des marins, étonnés de ces strophes funèbres,
      S’arrêtèrent pour écouter.
D’abord ils furent pris comme de lassitude ;
En vain du capitaine éclatait la voix rude ;
      Pensifs, ils écoutaient chanter.

Comme ils étaient trop loin pour saisir les paroles,
Ils n’entendaient du chant que ses cadences molles,
      Que sa tristesse et sa langueur.
Et par la loi fatale, innée en la sirène,
Ce chant leur apportait l’ivresse souveraine,
      La volupté qui frappe au cœur.