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RECUEIL INTIME

De soleil se couchant dans sa pourpre sublime,
Sans que j’aie en mon cœur senti comme un abîme,
Et que, tendant les bras vers un être ignoré,
J’aie appelé l’amour d’un cri désespéré.

Oh ! s’en aller le soir causer, ouvrir son aile,
Vivre, la bien-aimée en vous et vous en elle,
Étreindre longuement sa main dans votre main,
Et, sans pouvoir partir, rester sur le chemin !
Mettre toute son âme à se dire qu’on s’aime,
Ne faire à deux qu’un chant, qu’un rayon, qu’un poème,
Etre heureux, et pourtant se sentir dans les yeux
Venir comme une larme, à se parler des cieux !
Si tout cela pour moi n’est que l’ombre d’un rêve,
Si chaque nuit qui vient, chaque jour qui se lève
Doit m’apporter toujours le même isolement,

Si mon désir est faux, si ma vision ment,
Si l’idéal cruel dont j’ai l’âme embrasée
Ne lui veut accorder ni brise ni rosée,
Si j’ai fatalement pour sort, en fait d’amours,
De ne jamais trouver et de vouloir toujours,
Homme je perds ma vie, et poète ma lyre.
Qu’on me les ôte ! car mon âme s’y déchire,