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PROMENADE SANS BUT

Qui m’appelle en secret et que je ne vois pas.
En ouvrant cette porte et faisant quelques pas,
Peut-être trouverais-je, assise dans sa chambre,
Cette femme aux doux yeux, au cœur parfumé d’ambre,
Qui, sur mon front brûlant étendant ses doigts frais,
Me ferait croire en moi lorsque j’en douterais,
Ardente à me prêter appui, quoi qu’il advienne,
Et dont je prendrais l’âme en lui livrant la mienne.

Mais j’ignore son nom, et, faute d’un hasard,
Sans véritable amour, j’arriverai vieillard ;
Lors, si, m’interrogeant devant l’heure suprême,
Je veux de mon passé rendre compte à moi-même,
Au fond du souvenir il ne surgira rien
De ces choses du cœur qui seules font du bien,
Et de moi j’aurai honte et voilerai ma joue ;
Car de tous mes plaisirs jaillira de la boue.

Pourtant je n’ai pas vu briller d’astres là-haut
Sans qu’un désir d’aimer ne me prit aussitôt ;
Je n’ai pas entendu vibrer de souffle tendre
Sans rêver de quelqu’un pour avec moi l’entendre ;
Pourtant je n’ai jamais admiré rien de beau,
D’oiseau fendant le ciel, de barque rasant l’eau,