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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Quand j’étudiais l’histoire des révolutions, je me disais : « Il faut voir les gens des ruelles pour comprendre cela. » La misère révoltée est nécessaire pour faire lever la pâte humaine dans les grandes crises sociales. Mais où la trouver cette misère révoltée ? La campagne ne la fournit point. Le rural est servile. Il ne se rebelle pas, ou alors c’est quand les révolutions sont faites, pour être assuré de toucher le pourboire.

Les gens de service, les ouvriers des villes me paraissaient incapables de ces efforts ardents et sacrifiés que sont les prises de toutes les Bastilles. Risquer sa peau pour une idée et sans y être commandé… Je ne voyais personne capable de ça. À cause d’une éclisse de bois dans le doigt, qui ne les gênait pas, des ouvriers, par chez nous, se faisaient donner deux semaines de repos à demi salaire. Ils aimaient mieux ne rien faire, et toucher juste pour ne pas crever de faim, que travailler. Et ils laissaient moisir leurs gosses pouilleux pour se pavaner le bras en écharpe, en se vantant de jouer ainsi un bon tour « au singe ».

Mon père était avocat, mais nous avions comme voisins une usine de meubles et une imprimerie. Les patrons de ces boîtes étaient amis de ma famille et je savais tout ce qui s’y passait.

Donc, les Ruelles me préoccupaient. Je ne vouais d’ailleurs ni haine ni pitié au peuple du quartier mal famé. Je le jugeais très noble par son rôle imaginé de ferment social. Et je lui pardonnais d’être composé de filous et d’ivrognes en songeant que c’est à lui qu’il fut toujours dévolu de prendre les armes et de créer dans l’histoire l’immortel souvenir des 14 Juillets.

J’ai depuis vérifié que les gueux sont très bourgeois, et même ils le sont assez platement. Quand ils se fâchent, ce sont des colères absurdes et plus risibles qu’émerveillantes. Les révolutions sont fai-