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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

je le pousse avec aussi peu d’hésitation que si j’avais su de toute éternité son existence…

Tout cela s’effectue en une seconde au plus. Le verrou prend dans la gâche juste au moment où une poussée sur la porte la fait sonner et gémir…

J’entends les trois soldats crier des injures confuses et frapper à grands coups de poing sur l’huis clos.

J’ai inspecté cette porte en même temps que je la fermais. J’ai eu de la chance avec le verrou, car la serrure n’a pas de clef. Je suis en sûreté pour un instant… Il y a cela entre mes agresseurs et moi.

Je me retourne d’un bloc. À quatre pas, penchée sur un fourneau et éclairée par un lampion préhistorique, je vois une femme qui tourne une cuiller de bois dans une ratatouille vraisemblablement culinaire. Je viens à elle. La peur marque son visage entre les rides et les traces de toutes tares humaines :

— Madame, je suis Catherine, la fille de Monsieur Sibour-Gouïn. Si vous ne me défendez pas…

Elle me coupe la parole avec un air pleurard :

— Je ne peux rien faire… Ils vont enfoncer la porte, voyez…

Et elle désigne le panneau qui ploie en effet.

— Madame ! si vous ne me sauvez pas, je vous le promet, les gendarmes seront chez vous demain matin et vous finirez vos jours en prison…

Tout tourne dans ce masque creusé au mot prison. La chair molle semble s’affaisser seule et les yeux ont une sorte d’agonie…

J’ai mon regard fixé sur le sien et l’odeur de cette cuisine jaunâtre qu’elle tournait me vient par bouffées. Je confonds la femme avec sa casserole et la maison elle-même avec ce poisseux mélange où des bulles de vapeur viennent crever avec bruit.