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L’Amérique vint. Après six jours de hâte entre le vaste ciel et l’eau infinie, le paquebot permit à ses voyageurs d’entrevoir au loin la côte, légère comme un nuage violet. Et ce fut, à la file, tout ce que les gens des États ont disposé pour recevoir ou retenir les immigrants, les contrôles et les vérifications vétilleuses, les questions scabreuses et bizarres, tout le mécanisme de l’arrivée au pays des quarante-quatre étoiles, enfin la venue à New-York et la mise du pied sur ce continent si bien défendu.

Le soir, Zine et son prétendu frère dînèrent ensemble dans un restaurant français de Broadway.

— Petite Zine, dit l’homme, — un grand gaillard sec et froid, qui venait avec de complexes missions et des papiers officiels à la pelle, — petite Zine, tu as été ma sœur jusqu’ici, et tu reconnaîtras que ma correction fraternelle fut parfaite sur le bateau. Mais nous voici sur la terre classique de la liberté, une liberté un peu enchaînée, toutefois on compose avec ces chaînes… Ne trouves-tu pas que je mérite une petite récompense pour t’avoir menée ici sans autre difficulté que d’avoir à singer une parenté illusoire ?

— Mais oui ! dit Zine.

— Quelle récompense ?

— Je vais vous embrasser, dit-elle en riant.

— Oui, comme commencement, mais il ne faudra pas t’en tenir là.

— Vous n’avez pas peur, dit-elle malicieusement, d’être poursuivi pour le crime d’inceste ?

— Je te prouverai que non.

Et le soir, ils louèrent un appartement avec deux chambres contiguës, car il faut toujours se méfier en ce pays puritain, puis un lit unique les reçut. Zine voulut prouver que les leçons galantes qu’elle avait reçues lui avaient été profitables, et elle fit des prodiges…

— Ma petite, lui affirma le lendemain matin son « frère » avec dignité, tu feras ton chemin ici. C’est un pays de gens prudes, mais leur salacité est grande. Ils ont surtout