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Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/106

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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

heureux qui aime, souffre et travaille au milieu de ses morts. La sépulture est à quelques mètres de la case, souvent dans la cour, jamais on ne la relègue au loin, comme font les peuples d’Europe. Les défunts ainsi restent mêlés à leur existence d’autrefois. En ce jour les ancêtres de Razane pouvaient se réjouir de voir leur petite fille mariée a un étranger blanc, riche et généreux. Claude les évoquait, non point les pauvres débris ratatinés enveloppés dans les suaires rouges, mais les vivants de jadis, les contemporains des morts illustres qui dormaient dans le Rouve sous les Maisons-froides. Les uns avaient été esclaves ou hommes libres, les autres seigneurs. L’Européen songeait à ses propres ancêtres, serfs de la glèbe en quelque Seigneurie inconnue, et dont il ne connaissait pas les tombeaux. Intellectuellement, moralement, ils étaient aussi éloignés de lui que les esclaves ou les houves d’Imérimandzak. Une pitié fraternelle, très douce, le rapprocha des morts Imériniens et de sa petite épouse, leur descendante. Elle souriait, sans essayer de comprendre les pensées de l’étranger subtil. Le gamin malgache, monté sur le tombeau, frappait de grands coups de gaule pour chasser une poule et ses poussins. Les amants s’en allèrent, le long du fossé verdoyant, exaltés par l’esprit des morts.

À la maison, ils trouvèrent un garçon d’une vingtaine d’années. Razane n’eut pas l’air surprise de le voir.

— Je connais cette figure là, dit Claude. Où donc l’ai-je vue ?