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Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/13

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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

briser toutes les racines sociales qui vous lient, comme un arbre à la terre, au sol des champs ou de la ville, d’arracher les radicelles ténues et innombrables qui vous attachent à la patrie. Toujours surgissaient les mêmes paysages du passé : de doux vallons tranquilles, avec des horizons de collines arrondies, toutes bleues dans la buée du matin ; sous de sombres hêtraies, l’humus noir, gonflé de champignons, sent la pourriture ; des genêts d’or et des bruyères roses fleurent bon dans les clairières ou sur la lisière des grands bois. Puis une image de femme se substituait à toutes celles-là ; bannie un instant, elle revenait comme le fantôme de l’Amour.

Il voulut, de toute son énergie, vivre le présent, s’arracher au passé mort, doux ou triste. Il se leva, se promena sur le pont, regarda longuement, à bâbord et à tribord, la mer sans limites. Il lia conversation avec des passagers, avec les officiers du bord. Le soir, à table, il causa avec ses voisins, s’attarda dans le fumoir.

La houle faisait rouler le bateau ; quand Claude regagna sa cabine, il éprouvait la sensation de vide et la vague douleur à l’épigastre, prodromes du mal de mer. Une bonne nuit le remit. Dès six heures, il était sur le pont, aspirant à pleins poumons la brise fraîche. Le lavage du navire, les manœuvres des matelots hissant et fixant la grande tente d’un bout à l’autre du bord, l’intéressèrent. À huit heures, un garçon lui apporta quelques lettres, arrivées à la dernière heure, au moment de l’appareillage. Il parcourut des yeux