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Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/12

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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Sa pensée devançait la marche du navire, le portait vers ces bords lointains où le menait sa destinée. Mais là, son rêve se perdait en images vagues. Un malaise seulement l’angoissait, à cause de tous les dangers devinés et grandis par cette obscure inquiétude du terrien embarqué pour la première fois : maladies inconnues en Europe ou depuis longtemps oubliées, les filaires insinuées dans le sang, les mycoses paralysant l’organisme comme des algues l’hélice d’un navire, la lèpre qui mène à la plus hideuse des morts ; soleil torride cuisant les crânes sous les casques ; insectes venimeux, bêtes monstrueuses qui hantent l’eau des fleuves ou de la mer, caïmans sournois, requins voraces ; poisons subtils, épars dans le vent qui passe, dans l’eau du marécage, sous la feuille du mancenillier, ou versés par l’indigène hostile dans les mets et les breuvages de l’étranger.

Puis son imagination le ramenait, par delà les jours de Paris, vers l’âge heureux de son enfance et sa jeunesse, dans le calme sûr de sa province ; les gens n’y connaissent les colonies qu’à travers le Tour du Monde ou le Journal des Voyages ; ils citent volontiers le dicton : « Là où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute » ; jamais aucun d’eux n’a supposé qu’une chèvre, après avoir rompu son lien, pût franchir les mers. Claude évoquait ses parents qui dormaient leur dernier sommeil dans l’antique cimetière où reposaient les pères de leurs pères, depuis des générations immémoriales. Une sourde anxiété le tenait malgré lui, la peur héréditaire de