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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

que, si on les rencontre à Paris. L’un d’eux m’était fort sympathique… C’était un colonial, un administrateur en retraite. Grand, maigre, la face un peu terreuse, avec des yeux profonds brillants de fièvre, il portait un dolman de flanelle bleue comme nous ici en saison fraîche… Nous l’avions pris d’abord pour un officier. Il paraissait frileux, l’air toujours gelé, et pourtant s’asseyait à l’ombre, comme s’il avait eu peur du soleil. Mais surtout il semblait succomber sous le poids d’un irrémédiable ennui. Il ne s’intéressait ni à la vente matinale du poisson, ni à l’arrivée du train de Paris, ni à la pêche aux crevettes, ni aux heures des marées, ni à la manille de l’apéritif, ni aux sauteries du Casino. Il était très sobre, ne jouait jamais aux petits chevaux, perdait ou gagnait au bridge avec une égale indifférence. On ne lui connaissait pas de flirt ; il ne pratiquait assidûment aucun sport, bien qu’il jouât très proprement au tennis, si on avait besoin d’un quatrième. Une fois il tira aux pigeons et gagna le prix, mais il ne parlait jamais de chasse. Décoré, il inspirait beaucoup de respect aux boutiquiers en villégiature, et, à la fin d’août, on lui demanda de faire partie du comité de la fête. Il accepta, donna beaucoup d’idées pratiques, indiqua des innovations heureuses, mais, le jour des réjouissances, il demeura enfermé dans sa chambre à l’Hôtel. Ce personnage un peu mystérieux répondait assez aimablement à mes avances. Quand nous étions seuls, il me parlait parfois de lui-même, un