Aller au contenu

Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

tants du lieu, ni pourquoi ils avaient quitté la terre de leurs ancêtres, en emportant sans doute leurs morts. On avait pris les dalles, quelques mois plus tôt, pour empierrer une route, et laissé celle-ci, trop dure. Je lui demandai de me la vendre ; il consentit, heureux de tirer bénéfice d’une chose encombrante et inutile… Elle est lisse comme du marbre et d’un beau noir brillant. Je la préfère à la rude table de gneiss, banale comme une pierre de taille, qui précédemment servait de lit funéraire, au fond de mon tombeau, à l’est… C’est sur elle qu’on couchera ma dépouille, Saldagne, au jour marqué par mon Destin !…

— À votre tour vous n’êtes pas gai, dit Claude.

— Pourquoi donc ? Parce que je parle des temps qui viendront après ceux que nous vivons ? J’y pense, je vous le jure, avec toute l’impassibilité d’un Malgache. Il m’est indifférent qu’ils arrivent demain, ou dans dix ans, ou dans trente. La Mort n’est effrayante que pour les Chrétiens. Vous n’en êtes pas, que je sache…

— Il est vrai que les Imériniens ne s’inquiètent guère du problème qui épouvanta nos ancêtres. Ils vivent trop près des morts : tout à côté des cases se dressent leurs tombeaux, maisons froides, mais non tristes d’un au-delà familier. Les poules y picorent, on y fait sécher le linge ou les gerbes de riz, et les petits enfants jouent à l’ombre de la porte par où les grands papas de jadis sont entrés dans l’Oubli.