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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

ments oranges et bleutés. La robe très sobre était garnie d’un galon brodé d’or et de perles nacrées, et des torsades de perles la retenaient aux épaules sans briser la ligne harmonieuse qui du cou s’arrondissait jusqu’aux bras. Claude eut une stupeur : il retrouvait la taille, le port et presque les traits de celle dont l’image hantait encore sa pensée, de celle pour qui, naguère, il avait quitté l’Europe, de Marthe Villaret. Même teinte blonde des cheveux, même courbe fière du nez, même expression des yeux, faite de coquetterie, de mélancolie et de tendresse. La nature offre parfois de ces surprises, et Saldagne se rappelait avoir rencontré, dans une ville d’eaux, son propre sosie ; la ressemblance était telle qu’au casino on les prenait l’un pour l’autre. Il regarda longuement la jeune femme qui traversait le salon au bras d’un monsieur inconnu, puis il se rapprocha du coin où elle était allée s’asseoir, la contempla encore, la vit danser. L’étrange ressemblance se précisait, s’accentuait davantage. Il se faisait violence pour détourner les yeux, pour les arracher de cette femme que, dix minutes plus tôt, il n’avait jamais vue. Il se figurait qu’autour de lui les gens devaient remarquer son attention indiscrète, il s’éloignait un peu, tâchait de prendre un air indifférent. Chercherait-il à se faire présenter, à parler à cette inconnue, à retrouver peut-être aussi dans sa voix celle de l’autre et dans ses paroles les façons de penser de l’absente ? À cette minute il vit clair dans son propre cœur : il aimait toujours Marthe Vil-